dimanche 25 janvier 2015

Passage de Relec

" Mais ce calvaire, il n'est pas sur la carte ? ! "

Tels furent les mots que je prononcerais ce soir-là, au détour d'un chemin qui n'aurait pas dû être emprunté...

C'était en l'an de grâce 2012, aux premiers jours du mois de septembre.
C'était en terres de Bretagne, au coeur des Monts d'Arée.

Véritable phrase-fétiche, la formule allait désormais résonner comme un code entre mon compagnon de marche et votre hôtesse : celui du signal d'alerte, lancé lorsque le danger de s'égarer en chemin devient imminent.

C'était la dernière journée de notre bref séjour en Bretagne. Nous logions alors dans une charmante chambre d'hôtes située à Brézéhant (Brezehan en breton), hameau de la petite commune de Commana, dans l'ancien pays du Léon, à la limite de la Cornouaille. Nous devions partir le lendemain pour regagner Lille et sa Flandre picarde.

Nous voulions, avant de quitter l'envoûtant endroit, voir une dernière fois l'une de ses expressions les plus remarquables. Andreas, notre hôte, fin connaisseur de la région, nous proposa alors un circuit que nous avions également relevé dans notre guide de promenades. Très prévenant, il nous procura une copie de l'ancien tracé. Sous son aspect badin, le détail n'est pas sans importance et aura, par la suite, son rôle à jouer. Pour l'instant, nous embarquions dans le tacot, pardon, la Twingo du sieur Yiti, direction l'abbaye du Relecq.


T'as de vieux os, tu sais ? 

La balade s'annonçait sous les meilleurs auspices en débutant par la visite de l'abbaye du Relec (également orthographié " Relecq "), située sur le territoire de la commune de Plounéour-Ménez. 

La légende raconte que l'abbaye a pour origine un monastère fondé au VIe siècle par des moines bénédictins, sur les lieux d'une sanglante bataille, livrée en 554/555, où s'affrontèrent les armées de Tudal (voire Juduël ou Juduwal, selon les sources), prince de la Domnonée et celles de Conomor, comte du Poher (nous en reparlerons), qui y trouverait la mort. Le monastère aurait alors recueilli les ossements des nombreux guerriers tués au cours des combats - d'où son nom en latin Abbatia de reliquiis (l'abbaye des reliques) depuis " bretonnisé " ou " francisé " en Relec ou Relecq.

















Du point de vue historique, il semble que depuis le VIème siècle, existait effectivement un monastère bénédictin, qui succomberait néanmoins aux invasions normandes du Xe siècle. Au XIIème siècle, des moines cisterciens vinrent s'installer sur les décombres et y fondèrent l'actuelle abbaye, qui demeurera célèbre pour deux apports essentiels : 













Nous devions à présent délaisser ce havre pour nous engager en des contrées plus sauvages.


Les rocs de Conomor

Non, ce n'était pas les lacs du Connemara mais les rocs de Conomor. Pourtant, le site ne souffre aucunement la comparaison, allant même jusqu'à partager avec l'illustre rival irlandais d'indéniables airs de famille, qui ne manqueront pas d'évoquer à certains les fameux Highlands






" C'est hercynien, ça fait pas un pli "

C'est que nous nous trouvions alors au coeur du massif armoricain, massif ancien puisqu'il s'érigea à l'Ere primaire (Paléozoïque) (les spécialistes parlent également de chaîne hercynienne ou bien encore de plissement hercynien). 

Nonobstant le décor, point de Connor (Mac Leod) mais un Conomor - dont il fut déjà question plus haut. L'histoire officielle le décrit comme un ancien seigneur de Bretagne, celui du comté carolingien du Poher, qui aurait vraisemblablement tenté d'usurper le trône des anciens royaumes de la Domnonée. La tradition populaire conserve pour sa part un portrait peu reluisant du personnage, qu'elle associe au terrifiant Barbe-bleue du célèbre conte éponyme.

Nous arpentions donc ses anciennes possessions en vue d'atteindre le sommet du Méné (348 m). Le nom doit sans doute provenir d'une francisation du mot breton " menez ", qui signifie " mont, montagne ". A l'instant où j'écris ces lignes, Yiti, animé de sa passion du calembour (à défaut d'en posséder l'art), me signale qu'en breton ce sommet se nomme plus exactement le Bern-Ar Menez...

Ce que YiTi ignore est que l'acteur Bernard Menez a des ascendances bretonnes (son grand-père était postier à Saint-Pol-de-Léon, dans le Finistère) et que le vocable " bern " signifie " tas " en Français ou bien encore paquet. Le jeu de mot pourrait alors signifier le tas du mont (?).

Quel calvaire ! (le petit tour pendable des Korrigans)

Le sommet gravi, il s'agissait alors de redescendre vers un carrefour ; à droite, le circuit faisait un décroché par le village de Trédudon-Le-Moine ; à gauche, le chemin revenait vers l'abbaye du Relecq en faisant un détour par le village de Quillioguès. Pourtant le panneau indicateur à destination des randonneurs paraissait inviter à aller tout droit. Après discussions, nous décidâmes de nous engager dans cette voie.
Le lieu du délit


Bien entendu, ce choix s'avérerait ne pas avoir été le bon. Bien entendu, comme dans tout bon roman d'aventures, nous ne comprendrions notre erreur que bien plus tard, après avoir parcouru une distance de plusieurs kilomètres. C'est un calvaire, " jeté " (par la Providence ?) sur le chemin, qui signalerait notre méprise. En terres armoricaines, le YiTi s'entiche des ces " vieilles pierres " qu'il mitraille allègrement de son appareil photographique, quoique la qualité des clichés soit proportionnellement inverse à leur nombre. Ce calvaire n'échappa guère à la règle, qui fit l'objet des attentions de notre amateur (dans tous les sens du terme).

Un calvaire de déjà vu

Pendant que YiTi analysait les différents paramètres de ses futurs clichés (angle de vue, lumière, etc) - qu'on juge des fruits de ce remarquable travail par la photographie insérée au dessus de ce paragraphe (la seule, parmi les nombreuses prises du calvaire, qui puisse recevoir le qualificatif d'acceptable) ! on en reste sans voix -, je parcourais des yeux la carte IGN que je confrontais au circuit du guide. Quelque chose me chiffonnait : ce calvaire ne figurait pas sur le circuit de la ballade... Je m'aperçus alors que nous tournions bel et bien le dos à l'abbaye du Relec et que nous marchions sur  la départementale D 42 en direction de Kermaria (à l'exact opposé de l'abbaye, sur un axe nord-ouest-sud-est)...

Je fis part de mon observation à mon compagnon de marche. Je l'exprimai en ces termes qui constitueraient notre phrase-culte, placée en exergue du présent billet. Mon comparse tentait alors de me rassurer sur la direction, mais sa bonne volonté n'avait d'égale que son sens bien atrophié de l'orientation...

Enfin gagné à ma cause et ainsi confrontés tous deux à la dure réalité, nous aurions pu paraphraser M. Manatane, le fameux personnage de Benoît Poelvoorde : " Alors que faire ? Il ne faut jamais, ô grand jamais... " paniquer ? ! 

Une première solution, celle de l'auto-stop, fut écartée d'emblée. Saviez-vous que la densité de la population dans les Monts d'Arrée est de 32 habitants au km² ? L'insigne honneur nous fut donné de vérifier la mesure par l'expérience. Pour le dire autrement, l'asphalte de la départementale D 42 n'est que rarement fréquentée par l'automobile. Et en ce début de soirée septentrionale, la fréquence était quasi-nulle...

La seconde solution, à laquelle je fus réduite, YiTi ne me laissant guère le choix, fut de faire le chemin inverse à toute allure. Le soir tombait rapidement et, en bons novices de la marche à pieds, nous n'avions pas de lampe-torche. Je crois n'avoir jamais marché aussi vite que ce jour-là. YiTi adopta immédiatement une allure soutenue que je tentai de suivre bien malgré moi. Je fus rapidement distancée mais la détermination de YiTi et ma fierté de Bretonne me galvanisèrent dans l'effort.

C'est ainsi que votre hôtesse et son compagnon de marche parvinrent à regagner les kilomètres arpentés par erreur et à rejoindre le carrefour " maléfique " - arrivés à ce point, nous constaterions qu'à l'évidence le panneau indicateur avait été bel et bien disposé dans le mauvais sens. Etait-ce une subtile réaction de l'autochtone lassé de voir du touriste ? YiTi et moi, aidés en cela par le riche folklore de la région, opinerions pour une farce des Korrigans.

Divagations : de mots et d'animaux

Vous souvenez-vous de la copie du circuit remise par notre hôte Andreas ? C'est à cet instant qu'elle se révéla particulièrement utile, en nous offrant un raccourci... à la fois salutaire et périlleux !

De par la lande errant

Des signes de fatigue se faisaient jour alors que l'obscurité s'installait peu à peu tout autour. Le raccourci s'offrait alors comme l'occasion de nous épargner le parcours.

Mais emprunter l'ancien circuit c'était aussi s'enfoncer dans une lande où la nature avait par endroits repris ses droits, le chemin ayant vraisemblablement cessé d'être entretenu depuis quelques temps déjà.



Hé ! Pac-(wo)man dans la lande.

Alors que mon compère le YiTi allait bon train, se targuant de mettre en oeuvre les déplacements appris lors de ses séances de Qi Qong (" Fais comme moi Albertine, bas sur les jambes, le dos bien droit "), je manquai plus d'une occasion de m'offrir une belle entorse.



Des chiens errants...

S'il est une spécialité méconnue de la région, c'est peut-être celle du chien errant, ou plus exactement, comme le signale le site de l'Etat consacré au loup, du chien en état de divagation. 

Privilège du touriste, nous avions eu l'heur, au cours de notre séjour, de nous familiariser au phénomène, qui se décline du molosse fou furieux qui renverse la voiture - et non l'inverse - au gigantesque cabot débonnaire qui porte un chérubin sur son dos (véridique !). 

Le soir tombait. Cependant nous n'étions plus très loin de l'abbaye (le circuit formant comme une boucle, elle était à la fois le point de départ et d'arrivée). Pour ma part j'étais soulagée d'être sortie indemne de ce raccourci aux allures de parcours du combattant. Pourtant, Yiti, dont la nature inquiète s'accuse décidément avec l'âge, se trouvait quant à lui tenaillé par la crainte de croiser le chemin d'un de ces toutous pas sympas du tout. Il enroula alors son manteau autour du bras, scrutant fébrilement la pénombre envahissante. Nous approchions alors du hameau " Le Clos " et l'expérience nous avait appris qu'en de tels endroits les chiens errants ne sont pas rares. Alertes, nous traversâmes les rues désertes.

Un chien, à l'allure peu accorte, apparut devant nous, à une cinquantaine de mètres, pour s'engouffrer aussitôt dans une ruelle. " Faut-il l'emprunter ? ", me demanda un YiTi inquiet. Le trajet n'en indiquait pas la nécessité et la ruelle ne semblait guère présenter d'intérêt touristique (bien maigre, il est vrai, en cette heure où tous les chiens sont gris et où la témérité nous avait fait faux bond). Nous continuâmes notre chemin.

J'apprendrais que, selon l'histoire officielle, le loup fut éradiqué  des Monts d'Arrée en 1884. Plus précisément c'est dans la petite commune de Cloître-Saint-Thégonnec que fut attribuée la dernière prime récompensant l'abattage d'un loup. C'est aussi en ce même endroit que se trouve le seul musée de France consacré au superbe prédateur, parent du chien. L'extermination dont il fut la victime au XIXème siècle trouve principalement son origine dans les attaques qu'il perpétra sur le bétail et le gibier. Cette " destruction " (le mot est employé par une loi du 3 août 1882) fut vraisemblablement lue à l'époque comme une victoire de la civilisation sur la nature sauvage. Le loup disparu, l'homme le remplaça par son fidèle compagnon, le chien, qui finit par prendre goût à la liberté (en Bretagne, quoi de plus normal) et à adopter les moeurs de compère le Loup, son ancêtre. Au XXIème siècle, le chien errant est-il en passe de reprendre le flambeau de l'attaque du bétail ? Le sujet est âprement discuté par les écologistes, ardents partisans du retour du loup en France, et les éleveurs, leurs farouches opposants.


Des propos délirants

Nous regagnions en toute hâte la voiture, garée sur le parcage près de l'abbaye. Montés à son bord, nous désirions alors plus que tout nous restaurer (notre petite escapade nous avait ouvert l'appétit). YiTi nous conduisit dans un petit restaurant pittoresque, situé dans le village de La Feuillée. La tenancière nous installa confortablement à l'une de ses tables.

Près de nous, des voisins de table dissertaient gaiement à haute voix, l'alcool, dont les vapeurs nous parvenaient, ayant depuis longtemps rompu les digues de la bienséance, à propos des mérites de tel ou tel fromage. Soudain, la remarque de l'une des convives retentit et retint toute notre attention : " celui-là, il sent la p'tite fille qui se néglige "

Qu'il est bon de retrouver ses congénères ! Qu'il est bon de retrouver la civilisation !

C'est sur cette note suave que s'achèvera ce billet et que je vous abandonne, mes chères lectrices et chers lecteurs, pour un temps que j'espère fort bref.  


samedi 18 octobre 2014

Kom in Oostende, Comme à Ostende

« Week-end à Rome, tous les deux sans personne ».
En ce dimanche d'un mois de septembre sur la fin, l'idée d'une escapade exotique nous saisit avec entrain.
Ce ne fut pas à Rome, ce ne fut pas sans personne. Mais ce fut extra (conjuguant, en passant, la rengaine au passé).

Extraostendinaire même ! Bref, chères lectrices, chers lecteurs, ce ne fut pas tropique au compteur, mais destination Ostende (Rome sera pour une prochaine fois, lorsque mon YiTi aura vaincu sa peur de l'avion et lorsque votre chère Albertine aura l'envie de se confronter à nouveau aux charmes trépidants des transports aériens - réservation, contrôle de sécurité, enregistrement des bagages, recherche du terminal, grève, etc.).

Sur les routes de Belgique


« Faire une virée à deux
tous les deux sur les chemins
dans ton automobile
tous les deux on sera bien »

Et zou ! Nous voilà partis, YiTi et votre hôtesse, sur les routes de Belgique, au volant d'une Twingo volée (tu me disais YiTi ? Ah oui, pardon, louée, dans une Twingo louée (comme pourrait dire l'ami Dany, qui donc voudrait voler une Twingo ? - quoique...).

Les routes du Royaume se distinguent par leur vaste éclairage public qui, couvrant l'ensemble du réseau, illumine tout le pays comme une fête foraine, la nuit venue – et tant pis si écolos et économes n'y sont pas, eux, à la fête. Depuis quelques temps, la réputation apparaîtrait néanmoins de plus en plus surfaite (crise oblige) alors qu'une autre, moins fameuse, serait en en passe de la détrôner, liée à la dégradation grandissante de la voirie, surtout observée, semble-t-il en région wallonne (si l'on en croit, par exemple, le rapport le la Cour des comptes de Belgique du 11 décembre 2012).

Nous, qui roulâmes de jour, à l'aller comme au retour, et dans la région flamande, nous n'eûmes pas vraiment l'occasion de nous émouvoir de ces deux « marques de fabrique ». Il en était toutefois une troisième que nous redoutions que trop pour la bien connaître : la signalisation des directions.

Etait-ce pour compenser la taille, que peut-être d'aucuns eurent jugé modeste, du « Plat pays », qu'une singulière intelligence s'évertua à y rendre énigmatique la signalétique, condamnant le voyageur imprévoyant au naufrage psychologique ? Heureux qui, comme Ulysse, ne circule en Belgique. Si le héros de l'Odyssée voulût vraiment mériter ses galons de navigateur, qu'il n'eût mieux fait de s'aventurer en ces contrées - mais au risque que Pénélope renonçât à l'attendre.

Il est difficile de résister à la tentation de faire découvrir quelques spécialités régionales :
  • Les sorties d'autoroute, embranchements, déviations et autres changements de direction sont bien entendu annoncés... mais, assez souvent, à l'endroit même de la bifurcation ;
  • Vous voulez sortir d'une ville, c'est bien simple : n'y rentrez pas ! Dans le cas contraire, armez-vous de patience et attendez-vous à sa visite forcée. La signalisation des directions est soit absente, soit confuse (Gand demeure à cet égard un douloureux souvenir) ; 
  • En Flandre, les noms des villes ne sont indiquées qu'en néerlandais (de même qu'en Wallonie, ils ne le sont qu'en français). Si vous quittez Lille, sachez qu'au retour elle s'appellera Rijsel (prononcez " Reyssel"). Loin de moi l'idée de blâmer l'approche régionaliste - qui n'est pas étrangère à votre bretonne Albertine - mais il y a lieu de se demander si un affichage bilingue ne serait pas plus adapté...
D'aucuns ne manqueront certainement pas de me faire remarquer qu'à l'ère de la conduite assistée et de géolocalisation, éprouver de pareilles difficultés confine à un masochisme pathétique ou témoigne d'un fâcheux passéisme. Mais pour YiTi, c'est à l'ancienne, comme il dit : préparation de l'itinéraire et carte routière. A vrai dire, la méthode ne nous a pas trop mal réussi - nous sommes même parvenus à retrouver le chemin du retour sans encombre alors que la sortie vers Courtrai (Kortrijk) était fermée pour cause de travaux (ce que l'usager apprenait à l'instant même où il l'empruntait).

La reine des plages contre le dieu Béton


Qui dit royaume, dit reine. En Belgique, elles sont nombreuses (selon la légende, lorsque le Philippe le Bel visita Gand, son épouse la reine Jeanne de Navarreprit ombrage d'en voir plus d'une parmi les bourgeoises richement vêtues de la cité). Ainsi existe-t-il la reine des plages, Ostende.
Le titre semble lui avoir été décerné à l'époque où, sous l'impulsion du roi Léopold II, la petite ville portuaire s'était muée en une fastueuse station balnéaire vers laquelle affluèrent grands bourgeois, nobles et souverains de toute l'Europe. Pour de plus amples informations sur l'histoire d'Ostende, je prie les lectrices et lecteurs de rendre visite au blogue " Histoires du Nord 2 " qui leur livrera un savant billet, joliment illustré

Mais comme le souligne, et à mon sens avec raison, la Libre Belgique : "que reste-t-il des temps anciens depuis que le béton a envahi les espaces et dressa en front de mer une ligne Maginot, rempart de fortune face aux éléments déchaînés ? "


 - Ostende ne laisse pas de marbre - Ouais, mais laisse béton

Béton à l'horizon

N'y a-t-il donc plus de vestiges de la splendeur passée d'Ostende  ?

Selon notre guide, quelques maisons de la Belle époque ont réchappé au sacrifice sur l'autel du Dieu Béton et survivent, disséminées çà et là entre les constructions récentes, notamment (toujours d'après notre guide) dans la rue Muscar (Muscarstraat) - quoique nous nous y soyons rendus, appliqués comme nous le fumes à notre itinéraire, je dois avouer que nous passâmes complètement à côté. Nous avons cru également en apercevoir le long de la promenade du Lido (ou promenade Albert 1er).

 

















La " bruxellisation " contestable et contestée d'Ostende n'a peut-être laissé insensible promoteurs et pouvoirs publics, qui semblent vouloir renouer avec le faste d'antan.


Un lieu mythique : l'Hôtel Thermae Palace

S'il y a une raison essentielle à notre excursion, elle tient toute entière en cet endroit : l'Hôtel Thermae Palace (le Palais des Thermes).  

Mince, il y a une grosse tache sur la photo !

Nous l'avions découvert, transfiguré sous la caméra du réalisateur belge Harry Kümel, dans son film " Les lèvres rouges " ("Daughters of Darkness"), tournées dans les années 70.


Son édification adossée aux arcades de la galerie royale (conçues par l'architecte officiel du roi belge Léopold II, le français Charles Girault et construites entre 1902 et 1906) contribue indéniablement à l'ambiance envoûtante de l'endroit.


C'est dans ces mêmes galeries que la chanteuse belge Muriel Dacq vint, dans les années 80, tourner le film promotionnel de son grand succès " Tropique ".


Nous lui adressons (bien des années après le tournage) ce petit clin d'oeil (un brin velu).


La nostalgie baigne désormais l'édifice qui peine à dissimuler les empreintes du temps.

L'ineffable délabrement de l'ouvrage m'a irrésistiblement rappelé la séquence de la station thermale d'Aralbad tirée du jeu vidéo Sybéria (réalisé par le dessinateur belge de bandes dessinées, Benoît Sokal). 




Dans la galerie royale, une galerie de tronches


Sous les arcades de la galerie royale, s'y contemplent d'autres, sourcilleuses, arborées par une galerie de tronches - qui, à y regarder de plus près, ne nous sont pas inconnues.

En septembre 2014, se tenait, à l'occasion du festival du film d'Ostende, une exposition des photographies réalisées par Rudy Lamboray, intitulée les " 50 salopards ", dressant le portrait de comédiens belges, issus des deux côtés de la frontière linguistique, sous la figure, à forte valeur iconographique ajoutée, du truand. Il me semble l'exposition se poursuit actuellement (octobre 2014) à Namur.

Partie francophone, on reconnaîtra Benoit Poelvoorde (tout en haut du podium, s'il faut en croire le YiTi, fan inconditionnel du Ben, le " géant " Bouli Lanners, Jérémie Rénier (ça change de "Cloclo").
 
Partie néerlandophone, les amateurs de polars reconnaîtront les talentueux Koen de Bouw et Filip Peters, et à la différence du tueur qu'il incarnait, se souviendront immanquablement de l'immense Jan Decleir.

T'as vu la goth' ?

Non loin du port de pêche, se dresse l'imposante église des Saints-Pierre-et-Paul (Sint-Petrus-en-Pauluskerk), bâtie en 1907 dans le style néo-gothique.


Ik wil bikken : garnaalkroketten !

 
Ostende, c'est aussi un port de pêche. Les amateurs de produits de la mer tout juste sortis de l'eau apprécieront les ventes à la criée de la " minque " . Nous y fîmes d'ailleurs la rencontre d'un fin connaisseur.

" De echo van je naam in de lach van de meeuwen "



Pour ceux qui préféraient les déguster, après préparation, sous la forme de l'un des plats traditionnels de la région, je leur conseillerais de s'asseoir à la table de la taverne James, dans la galerie James Ensor, où l'on savoure de délicieuses croquettes au crevettes (autre point qui ne gâche rien : le patron de l'établissement, très accueillant, ne s'offusque aucunement si vous employez la langue de Molière au lieu de celle de Vondel).


Avec la Mer du Nord, pour dernier terrain vague



" On voyait les chevaux d'la mer
Qui fonçaient la têt' la première
Et qui fracassaient leur crinière
Devant le casino désert
"












L'ancienne élégante attira les artistes, peintres (James Ensor, Magritte) ou musiciens (Marvin Gaye), lorsqu'elle ne fut pas leur muse (Jacques Brel, Léo Ferré, Erik " Spinvis " de Jong) ou leur mère (le chanteur belge Arno y vit le jour).


Aux dires mêmes de l'enfant du pays, la fascination esthétique qu'exercerait la souveraine sur ses illustres invités tiendrait à sa luminosité particulière, issue du croisement du ciel et de la mer, du jeu de leur couleur changeante.

Ni gris, ni vert... Comme à Ostende

Nous terminerons la balade par quelques verres, et le billet par quelques vers :

" Drinken aan zee
Denken aan jou "


samedi 28 juillet 2012

Les peuples des herbes (Balade dans la forêt de Raismes-Saint-Amand-Wallers)

Votre hôtesse avait déjà eu l'occasion de se rendre dans la forêt de Raismes-Saint-Amand-Wallers, au début du mois de mai de cette année (2012). Mon camarade de marche et moi-même avions alors visité le terril, et ses alentours, de la Mare à Goriaux, en suivant le sentier éponyme. La balade, qui nous laissa de merveilleux souvenirs, aurait dû recevoir sa transcription épistolaire, mais la tâche me parut plus ardue qu'à l'accoutumée, sans doute en raison du manque d'exercice - lié à l'inactivité prolongée de mon journal numérique, à laquelle me contraignit une météo désespérément maussade - de sorte qu'il n'en fut rien. J'en fus la première peinée mais je ne désespère pas de publier bientôt un billet à son sujet.


Nous voici donc de retour dans ce beau massif du Hainaut dans le but d'y explorer l'une de ses facettes, réputée pour la diversité de sa flore.

LA BOUTIQUE DE LA GUERISSEUSE EN HERBE

La forêt concentre en effet une grande variété de plantes, reconnues traditionnellement, voire scientifiquement, comme thérapeutiques, dont le maigre échantillon que je vous propose ci-après ne donne, malheureusement, qu'un mince aperçu.

L'herbe qui ne se fumait pas : l'Eupatoire à feuille de chanvre ou Eupatoire chanvrine 

(Eupatorium cannabinum)

Selon une version, cette plante devrait la première partie de son nom au roi Mithridate IV Eupator du Pont (124-64 avant J.-C) (Wikiphyto ; Wikipédia, note 3), qui aurait découvert ses propriétés laxatives (Fleurs des champs). Le second terme proviendrait de la ressemblance de ses feuilles avec celles du chanvre (la similitude s'arrêtant là, car, comme le fait habilement remarquer Le blog de Flore de Senlisse, l'eupatoire ne se fume pas).
L'eupatoire chanvrine paraît bien constituer une plante médicinale exceptionnelle, tant ses vertus sont nombreuses et variées : anthirumastimal, apéritif (entendu ici dans le sens de stimulant l'appétit), choléritique, dépuratif, diurétique, expectorant, laxatif, vermifuge (Hortical).




L'herbe aux anges : l'Angélique sauvage

(Angelica archangelica ou Angelica sylvestris)


Ses noms sont légions ! Elle s'appelle angélique officinale, angélique des bois, angélique vraie, angélique sauvage, etc. (Pour une liste, semble-t-il, exhaustive, la consultation de l'article "Angélique officinale ", de l'encyclopédie libre en ligne Wikipédia, peut être utilement conseillée - certaines sources, telle Hortical,  semblent cependant établir une distinction entre l'angélique officinale, qui serait une variété cultivée dans les jardins, et l'angélique sauvage (ou lorsque les plantes deviennent toxiques par excès de taxinomie)).

C'est tout doux !
Là encore, " l'herbe aux anges " est reconnue pour ses nombreuses vertus médicinales. L'huile essentielle de sa racine possède des propriétés digestives, carminatives (souhaitant expliciter le terme de manière quelque peu prosaïque, YiTi en parle comme d'une " plante à pets ") et sédatives ("Angélique officinale ", Wikipédia ; Hortical).
Au-delà de son aspect molletonneux des plus enchanteurs, se dégage de cette herbe une douce odeur fraiche et subtile. 
" Viens pécho d'la bonne beuh !  ",  semblait d'ailleurs lancer, en guise d'invitation, l'un des minuscules habitants de ces lieux à l'adresse, assurément, au regard du registre de langage employé, de mon camarade de marche.

Indomptable angélique ?


L'herbe indolente : la jacinthe des bois ou jacinthe sauvage


(Hyacinthoides non-scripta ; Endymion non-scriptus)

L'étymologie de sa désignation latine, Endymion non-scriptus, comporte un parfum de mythologie dont seule  la senteur de ses fleurs lui dispute le charme : Endymion serait un personnage de la mythologie grecque, berger de son état, vivant sur le Mont Latmos en Carie, Asie Mineur, d'une beauté telle que la Déesse de la Lune, Sélémé, jeta sur lui son dévolu. L'histoire raconte que, désirant la lui préserver, Sélémé obtint de Zeus qu'il plonge son aimé dans un sommeil éternel - ce qui pourrait faire allusion au port penché de la plante, donnant l'impression de somnoler (Domenicus malleotus).   

Cette herbe a de commun avec celle des anges sa pluralité de dénominations : petite jacinthe, muguet bleu, scille penchée ou endymion penché, etc. (Article " Hyacinthoides non-scripta ", Wikipédia)


La diversité des appellations chercherait-elle à masquer la récente rareté de son implantation ? La jacinthe sauvage, bien qu'elle ne semble nullement constituer une plante médicinale - la toxicité paraît bien plus la caractériser (Domenicus malleotus), serait depuis quelques victime d'une cueillette invétérée. Conjuguée aux effets néfastes d'autres activités humaines (disparition des clairières, réchauffement climatique, implantation d'espèces concurrentes dans les jardins), son impact est tel que l'espèce se trouve classée comme protégée dans certaines régions de France (Article " Hyacinthoides non-scripta ", Wikipédia ; INPN). 




LES EXACTIONS DES HEXAPODES

D'autres que nous, au sens plus affutés que les nôtres, s'intéressaient activement aux plantes qui jalonnaient notre parcours. Les endroits que nous longions grouillaient d'une activité fébrile !


Merveilleuse angélique
Le peuple de l'herbe aux anges est pour le moins bigarré, et en véritables pirates ou corsaires floricoles, prennent la marquise d'abordage sans autre forme de procès !

Un lieu de rencontre...


Le bourdon et son chardon
Alors qu'il s'échinait à cadrer son sujet au plus près, mon cher YiTi, dont l'esprit, lorsqu'il n'est pas accaparé par une activité quelconque, se tourne irrésistiblement vers ce qui loge dans le cerveau de bien des hommes, me faisait remarquer que l'abeille devait avoir une sexualité anthophile (" l'abeille est florophile " me confie-t-il d'un air docte).
Il serait possible de lui concéder, au regard des (peut-être trop) nombreuses photographies tirées à cette occasion, que l'appétence légendaire de l'abeille pour les fleurs, puisse donner l'impression d'une certaine communion entre la visiteuse et les visitées.

Hop, j'te choppe !
On s'étourdit à en perdre la tête
Viens ici, j'te dis
Rhâââ, lovely !...
Mais cessez donc de m'importuner !
Zou ! J'te prends et j'te retourne !
Hé, zy av' toi, bouge ta race !

DES PLANTES... ET DES ARBRES

Selon les informations du guide que nous utilisions, la forêt présente également une gamme d'arbres étendue. Ainsi y trouve-t-on l'aulne glutineux, le saule cendré, plusieurs sortes de chêne (chêne sessile, chênes pédonculé), charmes, frêne élevé...


L'envie se mesure à... l'aulne

Notre guide prenait parfois les accents d'une rhétorique que l'on pourrait croire échappée de la bouche d'un agent immobilier. Lorsque vous lisez : " ici, l'eau est très abondante ", ou : " plus loin, une zone périodiquement inondée ", comprenez zones infestées de moustiques...
L'épiderme de nos mains et bras (ainsi que, pour YiTi, de l'épaule et du cou) décrivirent bientôt comme une constellation cutanée, certains astres témoignant, par leur extrême rapprochement, du souvenir d'un intense festin.
L'irritation ressentie put être double si, pour le moins dérangés par notre rencontre impromptue avec ces percepteurs ailés et zélés, nous avions succombé à notre hâte, bien compréhensible, de laisser derrière nous ces marécages, au risque de voir nous échapper cette ambiance d'un indéniable romantisme, due en grande partie à la présence de l'aulne glutineux.




On dirait le sud... 

Le massif du Hainaut se parait parfois de teintes méditerranéennes, qui s'expliquent, selon notre guide, par l'exploitation à laquelle s'est livrée, durant la seconde guerre mondiale, l'armée d'occupation allemande, de certaines parties, qui furent replantées après la guerre, à titre d'indemnisation de dommages de guerre, de pins sylvestres. 
Je ne me doutais pas qu'en empruntant ce sentier sablonneux, j'allais être capable d'un exploit, digne d'une Lara Croft, qui laisserait bouche bée mon compagnon de marche, de telle manière qu'il oublierait d'immortaliser, sinon l'instant, tout au moins l'endroit de sa réalisation. Pour mieux saisir la situation délicate qui se présentait alors à nous, il paraît utile de rappeler que, depuis la fin de l'hiver, le département du Nord connaît d'incessantes pluies qui eurent pour effet, sur le chemin que nous parcourions alors, d'en détremper le sol et de former, selon ses aspérités, des bâches plus ou moins importantes. L'une d'entre elle, la plus importante que nous rencontrâmes, le coupait proprement en deux, dont les abords interdisaient tout emprunt. Alors que YiTi cherchait, en tâtonnant du pied, la possibilité d'un passage à sec, je m'élançais, franchis d'un bond l'obstacle et me réceptionnai sans faillir. Mon acolyte demeura ébahi quelques instants et, peut-être piqué, non plus, comme ce fut le cas tout à l'heure, dans sa chair, mais dans son amour propre de mâle lambda, me rejoignit en exécutant la même prouesse.



Ce sera sous cette ramure estivale, baignée d'une lumière vespérale, que la narration de cette divine balade s'achèvera...

A bientôt,

Baladement vôtre

Albertine